La créativité managériale est sans limite.

Quel enthousiasme s’empare de moi quand je tombe sur le power point de la journée d’études du pôle pilotage et ressources de la direction des finances publiques. Et quel titre accrocheur ! La gestion d’agents difficiles.

Oui, car aux finances publiques, figurez-vous que certains agents sont difficiles. Ils font rien qu’à embêter leurs supérieurs. Et pourquoi, ils sont difficiles ? Et bien parce qu’ils sont en difficulté !

Bon, là je me dis : enfin une direction qui se préoccupe de ses agents, de leurs conditions de travail, de leur santé. Enfin une direction qui fait du management humaniste, de l’organisation douce. Je vais tout savoir sur les méfaits du management oppressif et sur les remèdes à y apporter.

Je sais, je suis un éternel optimiste qui croit dans la positive attitude humaine, dans le bonheur au travail, dans l’amour des chefs pour leurs subalternes.

Nous aurait-on menti ?

Avant de tirer des conclusions hâtives, prenons connaissance des quelques « slide » dudit document.

Tout d’abord un slide pour « l’agent en difficulté ». C’est pas compliqué, on peut le repérer quand « sa manière de servir n’est plus remplie dans les conditions normales » – servir, oui, car dans la fonction publique, on est des serviteurs. Bon on va pas s’y attarder. Un slide, ça suffit bien.

Et puis les 18 autres concernent « l’agent difficile au travail ». Là, c’est du sérieux, du lourd. Faut quand même que vous sachiez à quoi ils ressemblent ces terribles agents, avec le couteau entre les dents… ça fait frémir !

On apprend d’abord qu’ils refusent le changement. C’est un comble ! Alors que nôtre chef suprême nous concocte du changement à tous les étages. Le changement comme le nouveau logiciel de la nation start-up. Ils n’ont donc rien compris ces fonctionnaires des finances. Ils sont bien comme ceux de la SNCF, qui ne sont d’ailleurs pas fonctionnaires, mais qui font rien qu’à nous prendre en otage. Bref !

Moi, je vous le dis, pour les repérer les agents difficiles, faudrait les classifier, comme au bon vieux temps. C’est d’ailleurs ce que nous propose le power point. Donc, on a plusieurs agents-types très, très… enfin vous allez voir.

Le premier, c’est l’anxieux. Il pense que « le monde est un endroit dangereux où une catastrophe peut toujours arriver ». Pour gérer cette personne, il faut juste « l’aider à relativiser et surtout, face à lui, ne pas se soumettre ». C’est connu, l’anxieux soumet son prochain, le salaud.

Y’a aussi le paranoïaque. Lui faut s’en méfier, car « il est souvent jaloux, il ne montre jamais de tendresse. Il a besoin de se trouver des ennemis pour se sentir apaisé et justifier sa méfiance. » Bon, lui, t’en croise un au boulot, direct tu le dénonces ou tu le défonces !

Ah ! celui-là, je l’aime bien. Il a un petit nom trop choux : l’histrionique. Tu sais pas ce que ça veut dire, pas grave, le power point te le dit : « il cherche à être le point de mire de l’assistance ». Pour le gérer, c’est pas compliqué, suffit de « lui laisser une scène de temps en temps en fixant les limites ». Allez vas-y mon gars, fais ton numéro, nous on va pas se laisser émouvoir. Oui parce que l’émotion, l’histrionique, il en joue.

On a aussi l’obsessionnel, le narcissique, le schizoïde… Celui-là, il me fout la trouille, car il est difficile à deviner – alors que les autres, tu devines tout de suite que ce sont des gros nazes. Lui non, il est un peu fourbe. Alors pour le gérer, faut pas aller le voir, juste lui refiler quelques notes… sinon il va te sauter à la gorge, le schizoïde.

Le pire, c’est lui. Tellement terrible, qu’il est codé : Il est de type A. Alors lui, « il lutte contre le temps, la vie est un défi ». Le type A, c’est du dangereux. Comment faut faire, viiiiite ? Calme-toi, il faut juste « ne pas négocier à chaud avec lui ». Et je ne vous ai pas dit, en plus, « il est irritable et souvent irascible ».

Je passe sur les passifs agressifs qui résistent face à la hiérarchie, les dépressifs qui voient tout en noir, les dépendants qui sont des tafioles et les déviants qui regardent en biais…

Bon, là, tu te dis, les finances publiques, c’est un repère de dangereux psychopathes. Ils ont dû tous les concentrer dans ce ministère, pour mieux les canaliser.

Heureusement, y’a des solutions. Me voilà rassuré, j’allais appeler les services secrets pour exfiltrer les terroristes…

Tu peux donc les muter, les envoyer au comité médical d’office, les licencier, ou les envoyer en retraite anticipée pour invalidité… Désormais, ils pourront faire les JO, catégorie handicapé !

Et dire qu’il y a des gars qui se font du pognon avec leurs power point. Nous vivons une époque formidable. Les innovations du monde du travail n’en finissent pas de nous surprendre…